Il me fallait de l'air. Rester enfermée à longueur de journée me rendait folle. Je ne connaissais pas encore chaque recoin de l'académie, mais je savais au moins comment en sortir. Je me promenai donc seule, profitant de la nature, élément qui était le mien, celui que je maîtrisais le mieux pour l'instant. Je passai devant le gymnase,  et, étant donné que je ne l'avais pas encore visité,  je décidai d'aller y faire un tour. Je jetai un coup d'oeil dans plusieurs salles, lorsque j'entendis un bruit sec et léger,  tout près. Je trouvai sa source dans la pièce d'à côté,  apparemment réservée au tir à l'arc. La première chose que je vis fut une flèche plantée au mileu d'une cible en hauteur. Le tir à l'arc m'avait toujours fascinée; j'avais même une fois essayé de m'y mettre. Mais j'avais bien vite arrêté, après avoir failli planter une flèche dans l'oeil de mon professeur, un ami de mon père.
Le propriétaire de la flèche se tenait au centre de la salle, et ne semblait pas m'avoir remarquée. En faisant le moins de bruit possible,  j'entrai et allai m'appuyer dos au mur près de la porte par laquelle j'étais entrée.
Je profitai du fait que le jeune homme ne m'ait pas vue pour le détailler du regard. Grand,  de longs cheveux noirs descendant sur ses épaules, svelte et très élégant. Beau. Très beau même. Je n'étais pas assez près pour distinguer la couleur de ses yeux, mais ils semblaient clairs.
Je continuai de l'observer lorsqu'il sembla me remarquer.
Puis il m'adressa la parole.

«Bonjour, damoiselle. Que puis-je faire pour vous?»

Je sursautai et sentis le rouge me monter aux joues. Je l'avais sûrement dérangé dans son entraînement.  "Damoiselle"? Intimidée par sa posture et son vocabulaire, je piquai un fard et trouvai soudain le bout de mes chaussures très intéressant. Je finis cependant par lever la tête vers lui, parce qu'il fallait bien que je réponde quelque chose. Allez, un peu de courage!

«Euh... Me pardonner, d'abord. De t'av... De vous avoir dérangé» me repris-je en rougissant davantage.

Je crois que je n'ai jamais eu autant de mal à parler de toute ma vie...

«Préférez-vous que je vous laisse?»

Je ne sais pas pourquoi,  mais moi qui d'habitude me serais enfuie à toutes jambes, me mis à avancer droit vers lui. Une fois à proximité,  je pus voir les détails de son visage, et surtout, ses yeux, d'un gris clair exquis. Je notai également qu'il avait des oreilles particulières, pointues.  Serait-il une sorte... d'elfe?

«Vous avez l'air doué.» Dis-je en désignant du regard la flèche qu'il avait envoyé en plein centre de la cible. «Vous faites du tir à l'arc depuis longtemps? Oh, et... Au fait, je m'appelle Livia. Livia Stark.»terminai-je en lui tendant la main.

Le jeune homme me dit s'appeler Valandil. Et il était prince. Mais oui. Quelle idiote! J'aurais pu le deviner en voyant qu'il était richement habillé, ou comment il se tenait. Un prince Elfe, qui plus est. Le fait qu'il ne soit pas un humain ne m'étonna pas. J'avais connu des créatures à l'air bien plus affreux que ça, après tout. Être la fille d'un super héros pousse parfois à rencontrer des gens hors du commun.
Valandil m'expliqua le peu d'intérêt que représentait une cible immobile. Et alors me vint une idée. Une idée absurde, bête et dangereuse, mais aussi amusante, et qui me permettrait de m'entraîner moi aussi. J'étais un peu rouillée, et j'avais besoin de mettre à l'épreuve mon agilité et ma rapidité. Et puis après tout, une blessure causée par une flèche ne serait pas mortelle, pour moi...

«Hmmm, je comprends. Si à votre niveau, une cible fixe ne suffit plus, je peux me porter volontaire pour jouer les cibles mouvantes.» dis-je en reculant de quelques pas.

Je ne m'autorisai pas cependant l'insolence d'afficher un malicieux sourire de défi, gardant mon sérieux autant que possible. Après tout, il pouvait très bien refuser, se dire qu'il n'avait pas de temps à perdre avec des idées pareilles... Je restai là, immobile, attendant sa réponse.

Valandil accepta après quelques instants ma proposition, et je le vis aller chercher d'autres flèches, avant de me demander de le tutoyer. Je souris et m'étirai un peu, avant de bondir. Je laissai la chaleur familière me transformer en plein vol et mes ailes pousser dans mon dos. Voler était une chose que j'adorais par dessus tout; cela me procurait une sensation de bien-être inouï. Une fois sous ma forme féérique, je volai vers la cible en hauteur dans laquelle Valandil avait planté sa première flèche, la décrochai avant de la lui lancer.

«D'accord, mais tutoie-moi aussi dans ce cas. A toi de jouer!»

Durant quelques minutes, sans un mot, il tira ses flèches, qui décrivaient toutes une trajectoire d'une précision redoutable, et je tentai de les éviter. Pas mal de projectiles m’atteignirent-l'une des flèches me griffa légèrement le bras, rien de bien grave, et d'ailleurs l'éraflure s'estompa aussitôt. Pratique d'être une fée de la nature-, mais j'étais heureuse de parvenir à esquiver les autres. Valandil ne faisait pas semblant, et ne me laissait pas gagner non plus, ce qui en soit était mieux pour moi comme pour lui. Un entraînement délibérément raté ne rendait service à personne.  

Une fois privé de toutes ses munitions, le jeune homme me fit signe de reposer le pied à terre alors qu'il se mettait à ramasser ses flèches. Je me laissai tomber et mes deux jambes me réceptionnèrent sans problème. Puis, reprenant ma forme humaine, j'allai détacher une des flèches qui s'était logée dans le mur à côté de là où je me trouvais, avant de la lui tendre.

«Merci pour la leçon. Je crois que tu as gagné.» dis-je en souriant.

Je laissai passer un temps, avant de reprendre. «Pardonne-moi ma curiosité, mais je suppose que tu n'es pas à l'académie seulement pour transpercer des cibles. Qu'a-t-il bien pu te pousser à venir étudier sur notre humble planète?»

«C'est vrai que la Terre est un endroit superbe. Seulement, peu de ses habitants s'en rendent compte, alors ils la détériorent de jour en jour.» soupirai-je.

Le lien particulier que j'avais avec la nature me faisait souffrir alors que ma planète se mourait un peu plus chaque jour. Mais me lancer dans un débat écologique n'était pas mon but premier, là, tout de suite.

«En ce qui concerne ton alter ego, j'ai appris il y a peu qu'il y avait dans l'univers beaucoup plus que la dizaine de planètes dont j'avais connaissance, alors j'espère que tu trouveras ton égale sur Terre. Si ce n'est pas une terrienne, tu vas avoir du travail, je crois.» dis-je en étouffant un petit rire. «Mais... Pourquoi ne serait-ce pas quelqu'un de ton peuple?»

"Et alleeeeez, paye ta maladresse!" ricana une voix dans ma tête.

... Pourquoi fallait-il toujours absolument qu'il ne se passe pas une minute sans que je dise une connerie? Je soupirai et secouai la tête avant de tourner de nouveau mon regard vers Valandil.

«Excuse-moi.» dis-je, lassée de moi-même. «Ce n'est pas ce que j'ai voulu dire. L'habitude m'a fait dire ça, sans doute. Je ne suis pas... Non, rien, fais comme si j'avais rien dit.» soupirai-je de nouveau en me dirigeant vers les gradins.

"Bravo Livia, tu as toujours le don de dire les choses de travers ma fille." Un profond sentiment de malaise mêlé à la colère s'empara de moi alors que je m'asseyais sur le premier siège qui se présenta, prenant ma tête dans mes mains.

Inspirant profondément, je relevai la tête dans sa direction, ne sachant qu'ajouter de plus sans lui sembler encore plus maladroite et ennuyante. Alors, j'attendis simplement qu'il parle à son tour.