Retrouvailles, mon vieux.

Bientôt quatre semaines que je fréquentais Academy. Honnêtement, je ne les ai pas vu passer. C'est peut-être dû au fait que je me suis vite fait des amis -Amy, ElBois et Arthur- trop vite, même. J'aurai voulu... Plus de temps, peut-être ? Je passais mes journées avec eux. Je ne m'ennuyais pas, du moins pas trop. J'étais systématiquement collée par un de mes trois amis. Ils ne s'inquiètaient pas de moi. Tant mieux. Je n'aime pas qu'on vienne fouiner dans mes affaires -surtout que je me sentirais mal de leur mentir. Ils préfèrent s'intéresser à l'autre fille du groupe, qui, c'est vrai, est bien plus intéressante qu'une gamine qui ne peut s'empêcher de faire une remarque et râler à tout va et de gueuler des injures à longueur de journée. Les gens savent faire des choix qui m'arrangent, des fois.

Et puis, je l'ai vu. Je croyais mettre une croix définitive sur ce passage-ci de mon errance sur Terre. On l'a appelé par son nom, à l'arène. J'ai cru que c'était quelqu'un qui avait un nom identique au sien, mais je savais très bien que c'était faux. En tant que son amie, j'aurais du m'inquièter pour Arthur. C'est vrai, j'avais peur qu'il se fasse choper et qu'il subisse le même sort d'Amelia: pas besoin d'avoir quelqu'un de plus à soutenir, une seule personne suffit.

Il l'a compris. Ils ont gagné. Il m'a regardée. Je savais ce que voulait dire ce regard. J'avais fait comme si de rien n'était. Je voulais pas qu'on remarque cela, et qu'on commence à fouiner. Si jamais... Jouer la comédie avec eux, faire croire que ce type est un ange, non merci.
S'il avait sauvé Arthur, c'était parce que moi. Parce que j'étais l'amie à Arthur. Evidemment. Parce que cela me concernait, ce combat, plus ou moins indirectement.
Notre relation a toujours été ambiguë.
Cela faisait combien de temps que je le connaissais ? Deux ans. Il y a deux années. Le cinquième orphelinat où j'étais allée.

Je venais d'arriver à ledit orphelinat. J'allai directement chez le directeur, où je me présentai brièvement, en manipulant la vérité, comme j'aime tant le le faire .Ensuite, lui m'avait fait la visite. Je le trouvais extrèmement sympathique. Je le trouvais TROP gentil. C'était bien là le problème. Chez lui... Quelque chose clochait. Les autres gens dans l'orphelinat étaient normales... Sauf lui. Il avait quelque chose d'intriguant, qui me fascinait. Pourtant, aux apparences, il est juste un Gary-Stu, certes un peu maladroit et timide.
Deux semaines plus tard, je compris. Je décidai d'aller lui parler, de le pousser au bout. Où il retira son masque. Il se dévoila à moi. Je me dévoilai à lui, moi aussi. Une sorte de "complicité" était née. L'un connaissait l'autre, en quelque sorte. Et puis nous nous sommes évadés ensemble, avec trois autres personnes, 6 mois plus tard, étant tous les deux ennuyés de l'orphelinat, que nous trouvions trop "banal". Nos chemins se sont séparés.
Jusqu'au Premier Septembre 2196.

Je déambulai aléatoirement au premier étage, à sa recherche. Je commençais à en avoir marre de tourner en rond, me demander si je devais aller lui parler ou pas. Je décidai de sauter le pas.J'ouvris au hasard la salle de DOCE. Je reconnus sa si belle tignasse dorée. J'ouvris la bouche. Je prononçai son nom.

You need hundred, I need five.

Retrouvailles, mon vieux.

Itsuki se daigna à répondre, avec sa molesse/tranquilité qu'il adoptait quand nous étions seuls. Il avait toujours ce même regard inquiètant, ces mêmes cheveux, ce même mètre quatre-vingts de... Ah non, en fait, il a grandi. Ce qu'il me fait qu'il me toise encore plus du haut de son mètre quatre-vingts-dix, tandis que je n'avais quasiment pas bougé d'un centimètre. Tss, ce chanceux. Il était assis sur une chaise, à l'envers évidemment, ses coudes sur l'accoudoir, avec son sourire, la tête posée sur ses bras. Son putain de sourire. Il m'agaçait, au début. Et puis mon cerveau a perdu l'habitude de le voir.

Je fermai la porte derrière moi: je n'avais pas la moindre envie qu'on sache que je lui parlais. Je m'assis en face de lui, adoptant la même position que lui, le sourire espiègle aux lèvres:

You need hundred, I need five.

Retrouvailles, mon vieux.

Itsuki se lança sur un autre sujet, ne répondant même pas -parce que j'avais pas grandi, c'est ça?-: Academy, évidemment. Il fallait que nous y arrivions. Je savais pertinemment que cette question allait arriver très vite dans notre discussion -ce qui était tout à fait normal, en fait. C'était légitime de se poser notre question, alors que j'aurais pu encore errer à mon habitude d'orphelinat en orphelinat, en évitant soigneusement cet endroit trop louche.

You need hundred, I need five.

Retrouvailles, mon vieux.

Itsuki me répondit qu'il s'emmerdait. Parfois. Ca n'a pas changé, cette fichue manie de s'emmerder pour tout et rien, hein ? Je souris, amusée. J'ai l'impression d'être à des retrouvailles d'anciens amis qui ne se sont pas vus depuis une dizaine d'années, ce qui donnait une impression vraiment bizarre -surtout que je me souvenais de tout, du coup, cela me faisait vachement trop proche.

Et puis il enraya sur l'invasion extra-terrestre. Il a du deviner que j'étais forcément au courant, telle qu'il me connaît. Il connaissait la fin et... putain, il aurait dû changer sur ce point-là. La mort de gens ne lui fait vraiment plus rien du tout, à part si c'est amusant. C'est à la limite du gros psychopathe, là.

You need hundred, I need five.

Retrouvailles, mon vieux.

Itsuki aborda le sujet de mes amis. Cela a du être la première chose qui l'a interpellé, la dernière fois qu'on s'est aperçus à Academy. Moi, Llywen Olcyn. Avoir des amis ?
Cela me surprend moi-même,en fait. Des fois, je ne réalise pas que je suis censée bien m'entendre avec Amy, Arthur ou encore ElBois. Je ne réalise même pas que je fais partie d'un groupe, d'une bande d'amis. Je ne réalise pas que j'avais un passé, mais que maintenant je m'en bats royalement et que je m'occupe de ceux des autres. Je me rends pas compte à quel point que je peux être une élève normale. Ce qui est complètement débile. Surtout que je vais être utilisée en tant qu'arme de guerre si ça continue. Ah, les êtres humains... Pour fuir les problèmes, ils s'entourent de niaiserie, espèrant qu'ils ne vont pas avoir de problèmes, que cela ne va pas leur tomber sur la tête...

You need hundred, I need five.

Retrouvailles, mon vieux.

Je soupirai longuement. Je préférais juste traîner avec lui que les autres personnes de l'orphelinat, qui, en plus d'être facilement jaloux de quelque chose, n'avaient pas un caractère "compatible" avec le mien. C'est tout. Je m'étirai un peu les jambes -je commençais à avoir des fourmis, c'est horrible ça- avant de lui répondre, en soupirant:

You need hundred, I need five.

Retrouvailles, mon vieux.

Quand il m'appellait toujours par mon prénom en premier, de cet air si posé, je sais ce qu'il a deviné que je comptais revenir sur nos débats sans fin, sans conclusion -avec souvent un abandon de ma part, pas tout le temps, mais assez souvent. Mais cette fois-ci, je me sentais prête. Enfin, plus prête que les autres fois. Je finis par dire, en faisant un demi-sourire:


Un long blanc passa. Il me regardait, avec son sourire, lui aussi. Je soupirai, tic que j'avais lorsque je débattais. On dirait toujours une exaspérée de la vie. Je décidai de faire, comme lui, de mentionner son nom en premier.

You need hundred, I need five.

Retrouvailles, mon vieux.

Itsuki me répondit qu'il aimait faire ce qu'il fait. Je déviai le regard, outrée. Comment pouvait-il aimer ce genre de choses... J'étais tellement dégoutée que je passai outre de la suite de sa tirade. J'étais énervée, dans un sens. Cependant, je n'haussai pas le ton.

You need hundred, I need five.