Ce jour-là, je lisais un livre, tout à fait banal, assis sur mon lit. Ce livre n'était pas franchement intéressant, et, j'ai appris que j'aurais un nouveau camarade de chambre, alors que j'avais quitté l'ancienne pour être tranquille. Réjouissant.

J'avais presque fini ma lecture lorsque j'entendis des pas se diriger vers la porte et quelqu'un entrer. Je ne levai pas les yeux tout de suite de mon livre -j'étais bien trop occuper à finir cette maudite page- mais les paroles de mon nouveau camarade de chambre me sortirent de mes pages.

"Je suis ton nouveau camarade de chambre. Kaoru Tsukasa."

Non, ce n'est pas lui, ai-je pensé instinctivement. J'ai mal entendu. Puis j'ai levé la tête en direction de mon interlocuteur.

Ces mêmes cheveux rose/rouge. Ces mêmes yeux hétérochromes. Ce même regard. Cette posture. Il n'avait pas des masses grandi. Kaoru Tsukasa, c'était le nom que je lui avais donné.
Quatre.
Pourtant, je ne voulais pas qu'il me reconnaisse. Il est vrai qu'il a été mon ami, non, mon meilleur ami, durant mon enfermement, auparavant. Mais je croyais qu'il était mort, et j'avais tourné la page.

Il n'a pas dû me reconnaître. Il me regarde comme si j'étais quelqu'un de banal et sans importance, pour lui. Cependant, si je lui mens sur mon nom, il saura très vite ma véritable identité. Oh, et puis, Itsuki, c'est un nom banal, au Japon. Il n'a jamais su mon nom de famille, je n'ai pas en m'en soucier.

Itsuki leva la tête de son livre, le posa à côté de lui, et sourit à son nouveau camarade de chambre. Il lui dit:

▬ Bonjour. Moi, c'est Itsuki, enchanté.

Peut-être que d'habitude, j'aurais dit des choses de plus à mon nouveau camarade de chambre. Mais celui-là, il est spécial. Et puis de toute façon, il saura la vérité au bout d'un moment.

Kaoru chancela quand je lui dis mon nom. Il s'assied sur le lit le plus proche avant de me dire qu'il a connu un Itsuki, avant. Avant.

Avant, nous étions amis, entre deux prises de drogues. Mais mon coeur ne s'en souvient plus. Les autres enfants mourraient les uns après les autres, après deux médicaments. Nous nous demandions qui était le prochain à passer de l'autre côté.

Avant, il s'appelait Quatre, moi Sept. Mais mon cerveau ne s'en souvient plus. Je lui avais alors donné un nom, qu'il a toujours gardé. Il aimait beaucoup ce nom. Nous n'aimions pas ceux qui nous retenaient, ceux qui sont toujours là aujourd'hui.

Avant, un jour, il disparut, comme les autres, précédemment morts. J'avais accepté une réalité fausse, qui acceptait la mort de Quatre. Je ne voulais plus m'en souvenir. Je ne voulais plus me souvenir de la douleur des médicaments, le malaise des drogues. J'avais abandonné mes sentiments au fil du temps. Je ne ressentais plus rien, j'avais trouvé mon vrai "moi". Cependant, en tentant d'oublier mon passé, j'ai tenté d'oublier mon meilleur ami.

Un échec, évidemment. Je m'en souviens. Tant mieux, vu qu'il est vivant. Et il se tient là, devant moi. La seule différence entre nous, c'est que je mets un masque, lui non. Si Llywen aurait été là, elle m'aurait dit qu'il est franc avec lui-même. Elle a peut-être bien raison, au final.

Le sourire d'Itsuki se dégrada afin de laisser place à un air désolé. Il finit par dire:

▬ ... Il n'est plus là ?

Evidemment que Sept n'est plus là, pour Kaoru. Sinon, à quoi servirait l'emploi d'un temps du passé dans une phrase, hein ?

Kaoru hocha seulement la tête, et ne prononça aucune parole.

Cela me faisait mal. Trop de mal de le voir comme ça. Je me trouvais affreux. Se comporter comme cela était insupportable. Cependant, lâcher les bras et prononcer un simple "Ah mais non en fait, je suis le Itsuki que tu as connu" me semblait encore plus horrible. Cela aurait signifié que j'allais commencé à me jouer de lui.

Je me joue de Kaoru, mais pas de Llywen. Assez contradictoire, comme façon de vivre. L'atmosphère de la pièce était de plus en plus oppressante. Comment étais-je censé réagir, dans ces conditions ?

Le visage de Itsuki redevint neutre, et fit un simple:

▬ Je reviens. J'ai besoin d'air, je crois.

Je me levai alors de mon lit afin de me diriger vers la porte de la chambre. J'étouffe. Je n'en peux plus.

Trouver les mots. Oui, c'est ça. J'essayais actuellement de trouver les mots pour Kaoru.

J'étais allé faire un tour dans les toilettes d'en-face. Me mettre de l'eau sur mon visage. Purifier mon visage du masque que je m'étais forgé. Enlever le masque. Le remettre plus tard. Se sentir mieux. Se sentir plus confiant. Abandonner ce masque asphyxiant.

Je retournai ensuite à ma chambre. Je m'adossai sur le mur d'à-côté. Je n'essayais plus de chercher les mots. J'étais seul. Je suis toujours seul. Et puis Kaoru sortit. Il ne dit rien. J'avais pris un air grave. L'air que je ne prends jamais. L'air que j'ai pris avec Llywen, le jour où elle m'a plus ou moins piégé.

L'autre Itsuki est parti. Ailleurs. J'ouvre la bouche. Je dis une seule phrase.

▬ Kaoru, il faut que je te parle.

Je ne pouvais plus reculer à présent. Tant mieux. Ce jour change d'autres jours. C'est mieux.

Kaoru accepta. De toute façon, il n'avait pas d'autre choix que d'accepter. Je pris un grande inspiration. Je n'avais pas peur, ni besoin de courage. A mon habitude, je ne ressentais rien. Je ne voulais rien ressentir.

Je parlai. D'un phrase, un langage, que seul lui connaissait. Ainsi, il n'aurait aucun soupçon.

▬ Il se trouve que Sept est vivant. Et qu'il se tient devant toi.

Pourquoi ?

J'aurais dû m'y attendre, à ce genre de réponse. Cela a dû lui faire un choc. Il n'arrive pas à réaliser ? Compréhensible. Tenter de reformuler ma phrase ne servait à rien. Il n'était pas bête, il avait compris. Mais il n'arrivait pas à réaliser. Je continuai:

▬ Les autres sont morts. J'étais le dernier. Je me suis enfui.

Il me demanda évidemment pourquoi je ne lui avais pas dit depuis le début qui j'étais. Evidemment. J'aurais bien voulu lui mentir, mais je me devais de lui dire la vérité. Ce serait complètement idiot de mentir à Kaoru. Peut-être que ma précédente réponse était là pour éviter la question qui fâche, qui me contredit, dont je ne sais pas la réponse. La question à laquelle je peux pas répondre.

Pourquoi je fais ça ?

Je finis par dire:

▬ J'ai commencé a jouer à un jeu, quand je me suis enfui... Je fais le gars populaire et gentil. Une amie te dirait que je me mens à moi-même. Elle a sans doute raison.